Responsabilité contractuelle du maître de l’ouvrage
(Cass 3e civ 21 mai 2014 pourvoi n°13/18152)
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 18 mars 2013), que la société civile coopérative de construction Les Mandollets (la société Les Mandollets) a fait construire un ensemble de pavillons ; qu’elle a chargé de l’exécution des travaux de gros oeuvre la société ECEB, assurée auprès de la société Axa France IARD et placée aujourd’hui en liquidation judiciaire ; qu’elle avait souscrit une police dommages-ouvrage auprès de la société L’Equité ; que la réception a été prononcée le 25 septembre 1986 ; que la société Les Mandollets a conclu le 16 septembre 1986 un contrat de location-attribution d’un pavillon avec M. et Mme X…; que, par acte du 26 mars 2001, ceux-ci sont devenus propriétaires de ce pavillon après avoir remboursé le prêt ; qu’après avoir déclaré deux sinistres en 1989 et 1993 et refusé les indemnités proposées par l’assureur dommages-ouvrage, M. et Mme X…ont obtenu en référé le 30 juin 1998 la désignation d’un expert judiciaire ; que, le 19 octobre 1998, la société Les Mandollets a assigné la société L’Equité qui a appelé en garantie les époux X…, le liquidateur de la société ECEB et la société Axa France IARD devant le tribunal de grande instance de Pontoise qui, par jugement du 26 mai 2004, a déclaré prescrites les demandes de la société Les Mandollets à l’égard de la société Axa France IARD, a dit que la société Les Mandollets était déchue du droit à la garantie dommages-ouvrage de la société L’Equité par application de l’article L. 121-12 du code des assurances et a déclaré irrecevables pour défaut de qualité de propriétaire au moment du sinistre, les demandes des époux X…tendant à la condamnation in solidum de la société L’Equité et de la société Axa France IARD à les indemniser de leurs préjudices ; que le 9 mars 2009, les époux X…ont assigné la société Les Mandollets en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que la société Les Mandollets fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à M. et Mme X…la somme de 50 000 euros avec intérêts au taux légal à titre d’indemnité correspondant à la perte de chance alors, selon le moyen :
1°/ que l’action en responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs se prescrit par dix ans à compter de la réception ; que la société civile coopérative de construction qui cède au locataire-attributaire le bien qu’elle a fait construire est un constructeur ; qu’en écartant la prescription décennale invoquée par société Les Mandollets au prétexte que les époux X…ne demandaient pas à leur vendeur l’indemnisation des dommages affectant le pavillon mais recherchaient sa responsabilité dans l’exécution du contrat de location-attribution, la cour d’appel a violé l’ancien article 2270 du code civil, applicable en l’espèce ;
2°/ que pendant l’exécution du contrat de location-attribution, la société civile coopérative de construction est l’unique propriétaire du bien et elle seule a vocation à percevoir une indemnité en cas de désordres ; qu’elle n’a aucune obligation d’exercer valablement son droit exclusif à une telle indemnisation en l’absence de stipulation expresse en ce sens du contrat de location-attribution ; qu’en jugeant que la société Les Mandollets avait commis une faute contractuelle envers les époux X…pour avoir été déchue de son droit à indemnisation auprès de l’assureur dommages-ouvrage, sans constater qu’une clause du contrat l’eût obligée à exercer valablement ce droit, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du code civil ;
Attendu, d’autre part, qu’ayant retenu que les époux X…ne demandaient pas à leur vendeur l’indemnisation des dommages affectant le pavillon, mais recherchaient sa responsabilité pour la faute qu’il avait commise dans l’exécution du contrat de location-vente-attribution et que cette faute avait été mise en évidence par le jugement du 26 mai 2004, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la prescription n’était pas acquise ;
Attendu, enfin, qu’ayant retenu que la société Les Mandollets s’était fautivement privée du droit à réparation dont elle était seule titulaire en qualité de propriétaire du bien à la date des désordres et n’avait pas permis aux époux X…auxquels elle l’avait cédé de faire prendre en charge par les assureurs les dommages dont ce bien demeurait affecté et relevé que l’expertise ordonnée à la demande des époux X…l’avait été à la suite d’une assignation délivrée après l’expiration du délai d’épreuve, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a pu en déduire, sans dénaturation, que la demande indemnitaire formée par les époux X…, qui n’étaient pas tenus d’exercer une action oblique, devait être accueillie ;
PAR CES MOTIFS CASSE ET ANNULE
Un arrêt intéressant.
Le contrat de location-attribution permet au locataire à l’issue d’une période de location de devenir attributaire du bien après signature d’un acte d’attribution permettant le transfert de propriété.
La jurisprudence reconnait le pouvoir au locataire d’exercer :
- une action oblique permettant de mettre en œuvre la garantie décennale en cas de négligence du maître de l’ouvrage,
- une action en responsabilité délictuelle contre ses constructeurs et assureurs.
En revanche, (contrairement au contrat de location-accession où la loi le prévoit), le locataire d’une location-attribution ne peut mettre en œuvre l’assurance construction, notamment l’assureur dommages ouvrage, seul le maître de l’ouvrage ayant cette qualité.
En l’espèce, le maître de l’ouvrage n’ayant pas actionné l’assurance dommages ouvrage dans le délai d’épreuve, le locataire a perdu la possibilité d’en bénéficier.
Le locataire a alors recherché, avec succès, la responsabilité contractuelle du maître de l’ouvrage pour lui avoir fait perdre cette chance. (cf. l’excellente note de Madame PAGES-DE VARENNE jurisclasseur construction urbanisme n°7-8 juillet/août 2014, page 24, n°101)